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Blog à la campagne
3 janvier 2022

Petit conte de Noël de l'énième vague.

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Il était une fois une femme, la cinquantaine avenante, qui était salariée d’un grand groupe depuis une vingtaine d’années. Cette femme sportive et en parfaite santé travaillait à la formation pour la direction des ressources humaine, « la DRH de sa boîte » comme on dit dans le milieu du travail.

Effet de synchronicité, une nouvelle directrice générale et un nouveau virus firent leur apparition dans la société.

Un vent de panique souffla dans le monde économique qui sombra rapidement dans la peur et l’absurde.

La salariée que cette nouvelle maladie ne semblait pas inquiéter en comparaison du long cancer qui avait emporté son mari, continua à aller tous les jours au travail jusqu’au premier confinement, où on l’obligea à travailler de chez elle. Elle s’acquit de cette tache sans rechigner, mais commença à trouver le temps long et son jogging quotidien très court à seulement un kilomètre autour de chez elle. Toutefois, elle remarqua qu’elle était beaucoup plus efficace en télétravail qu’au bureau.

 

Au fil des mois, le virus disparaissait et réapparaissait selon une logique qui lui était propre, au point où les dirigeants et les scientifiques d’Absurdistan se perdaient dans des conjectures et des injonctions contradictoires, comme à la poursuite du vent.

De son côté, la nouvelle DG qui venait du MEDEF que l’on appelait le Patronat dans le milieu du travail, tissait sa toile et imposait une nouvelle équipe. Elle recruta un nouveau Directeur des Ressources Humaines qui venait de la grande distribution ou le « retail » piqué à l’anglais pour faire plus chic. Spécialiste du licenciement, que l’on nomme « flexisécurité » dans le milieu patronal, ce nouveau directeur avait la réputation d’un « fossoyeur » comme on dit dans le milieu des gens licenciés.

Toutefois notre salariée continua son travail même si l’ambiance « dans la boîte » devenait étouffante, sans doute à cause des masques. Les premiers objectifs donnés par la nouvelle direction étaient de réduire de dix pour cent les frais de fonctionnement et d’ailleurs la société recruta cinq nouveaux directeurs pour arriver à ses fins.

 

Notre salariée commençait à se sentir un peu seule, pas à cause du télétravail, puisqu’elle retournait travailler au siège, mais les réunions en « présentiel » se déroulaient  dans son bureau, chacun derrière son écran d’ordinateur. Il fallait ajouter la mise en place du pass sanitaire nouvellement créé pour sauver l’humanité du virus qui tuait 0,063 % de la population mondiale, surtout les plus de 84 ans.

Au bureau, ses collègues étaient tous vaccinés, pouvaient aller au restaurant entre collègues, mais notre pauvre salariée non vaccinée n’y avait plus droit.

De toute manière, c’était son choix, tant pis pour elle !

Mais quand elle partait le matin et rentrait le soir dans les trains et les métros bondés pendant quatre heures de transport, elle avait le temps de réfléchir et ne comprenait vraiment pas pourquoi le virus circulerait plus dans les restaurants ou les cinémas que dans les transports ou les supermarchés. Et elle avait également appris que la directrice générale qu’elle n’avait jamais rencontrée au siège, habitait en province et télétravaillait à cent pour cent. Quelle chance elle avait…

De même elle se fit la réflexion que pour cette cinquième ou sixième vague – elle ne savait plus très bien — une seule de ses amis non-vaccinés avait été malade pendant une semaine à cause du covid, les autres malades de son entourage étaient tous vaccinés deux fois, voire trois. Bien sûr, c’était une observation ridicule et personnelle qui ne reflétait pas la terrible tragédie qui se jouait dans les hôpitaux et les rédactions pour la cinquième ou sixième fois. On ne savait plus très bien...

Dans sa boîte, comme on dit dans sa boîte, les injonctions à se faire vacciner étaient permanentes que cela soit sur des affiches, le site internet ou dans le discours des directeurs.  À la télévision, à la radio, les chefs de service des hôpitaux suppliaient les non-vaccinés de se faire vacciner, car la vie de tous en dépendait. Un homme nommé Karim que la presse présentait entre la vie et la mort, avait tout de même eu la force de répondre à une longue interview dont la vidéo tournait en boucle sur toutes les chaînes. L’agence France Presse et le journal Le Parisien le situaient à l’hôpital de Montreuil, mais BFMTV à celui de Nice. Finalement peu importait le lieu, puisqu’il faisait acte de contrition, ayant trop écouté les complotistes et promettait que s’il s’en sortait, il se ferait vacciner, ainsi que toute sa famille. Les lits de réanimation étaient occupés à 98% par des non-vaccinés ajoutait horrifié un chef de service, mais les journalistes précisaient dans le même article qu’il s’agissait de quinze lits, dont seulement six étaient dédiés au covid, dont un malade vacciné.

Toutes ses informations, parfois contradictoires mais pourtant pas issues de la complosphère comme disaient les journalistes avec dédain, tournaient dans la tête de la salariée.

Et puis, en cette fin d’année et sixième vague proche de Noël, le nouveau directeur des ressources humaines qui avait  sûrement fait ses études dans les années 90, trouva cette idée si originale qu’ont tous les DRH, d’organiser un « Escape game » pour la cohésion de l’équipe. Une décennie plus tôt, c’eût été du saut à l’élastique. Cette matinée « cohésion » s’achevait en beauté sur un déjeuner d’équipe au restaurant en forme de joyeux Noël avec des cadeaux pour chacun.

Évidemment notre gentille salariée pestiférée car unique non vaccinée et sans pass sanitaire, même si elle était toujours en bonne santé, n’eut pas le droit de participer. Mais peu importe, elle assumait ses choix et avait beaucoup de travail en retard. Le jour J, une collègue se cassa le pied pendant le jeu et une autre se découvrit positive au covid après le déjeuner. Tout le monde fut renvoyé chez soi en tant que malade ou cas contact.

Notre salariée, unique non vaccinée et en bonne santé, se retrouva seule au bureau. Et quand elle rentra le soir dans le train bondé, elle souriait sous son masque.

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